Mot du directeur artistique

Direction artistique
« Il n’y a pour moi que des versions personnelles ou subjectives d’une chose. Le monde connu est donc une idée qui me laisse insatisfait. C’est celle que je tente de décloisonner, toujours. »

TRAVERSER LE MONDE CONNU


Au début du printemps 2020, nous allions annoncer les couleurs d’une saison qui s’intitulait Traverser le monde connu et qui avait pour but de faire tomber des frontières de toutes sortes. Et voilà que nous étions subitement plongé·e·s dans un monde qui nous en rajoutait de nouvelles… 

Il n’y a pour moi que des versions personnelles ou subjectives d’une chose. Le monde connu est donc une idée qui me laisse insatisfait. C’est celle que je tente de décloisonner, toujours. L’idée même du Québec devrait se donner toutes les chances d’être plusieurs choses, plusieurs versions de nos vies partagées d’aujourd’hui. Qu’elles aient été empilées depuis des générations, irritées des conflits de l’actualité ou bien projetées par les experts en tous genres. Le Québec que je ne connais pas encore est celui qui m’intéresse le plus. Je veux et vous invite à traverser ce monde connu avec les créations des prochaines années.

Les spectacles en création s’inspirent de nos capacités à Traverser le monde connu et d’en revenir transformés, accompagnés d’une autre humanité. Ils poussent plus loin ce désir de traverser les frontières intériorisées et créées par les préjugés ou les lois, de traverser les limites combattues par le corps, la langue, ou la mémoire. Ils permettent de traverser, grâce à la science ou la médecine, grâce au voyage ou grâce à l’anticipation, mais surtout grâce à la fiction, ce qu’on appelle le temps d’aujourd’hui.

Ils poussent plus loin ce désir de s’ouvrir aux humanités côtoyées ou épiées, de s’occuper du Québec des cohabitations, celui qui cherche ses fraternités, ses sororités, ses aventures attendues, ses blind dates durables. Ce qui est remis en question ici c’est le clan, cette notion qui détermine autant qu’elle enferme.

Traverser le monde connu, ça peut au départ déstabiliser ou fragiliser, mais ça nous donne surtout la chance de dépasser les délimitations que nous entretenons et que nous ne voyons plus. Une division, qu’elle soit à l’intérieur de nous, à même notre ville ou aux portes du continent, ça se traverse. Dans la vie, comme dans la fiction. Des différences, des lignes tracées d’avance, ça peut être franchies, niées, estompées par une permission que l’on s’offre. De toutes façons, nous n’avons plus le choix d’entrevoir ou de comprendre le monde au moyen des connexions qui s’imposent à nous. Les fictions du Québec n’ont pas de limites, elles s’enrichissent et se créent maintenant avec une infinité d’inspirations et d’influences. 

Ce titre s’accompagne maintenant d’une signification additionnelle. Traverser le monde connu… La crise a exacerbé les failles de celui que nous connaissons déjà. Confronté·e·s à ce qui nous manque, nous sommes pris à regarder le monde à l’arrêt et à revoir nos systèmes. Nous sommes face à ce qui demande du courage et de la résilience, car la pandémie révèle les coins sombres et les inégalités. Nous avons été confiné·e·s dans le monde connu finalement, pris à reconnaître tant les richesses de nos sociétés que leurs oublié·e·s, leurs esseulé·e·s, ceux et celles qui sont davantage à risque. Je crois encore, des mois plus tard et au moment de dévoiler ces fiers spectacles, que c’est ce que nous impose et nous invite à faire intimement et collectivement la présente crise, qui pour l’instant ne nous montre pas l’horizon de sa fin. Mais que nous traverserons assurément avec ces artistes que j’affectionne.

Traverser le monde connu n’est pas qu’un titre-phare, c’est davantage un besoin et un travail qui prend sa source, bien avant que je m’y consacre ici au CTD’A, dans mon adolescence vécue dans une banlieue multiculturelle et qui s’est activé joyeusement lors de voyages, lectures, rencontres et projets de collaborations en tant qu’artiste. La situation m’impose et me rappelle donc que ce désir de traverser le monde connu n’est pas pour moi le croquis d’une seule année, qu’il mérite amplement un dialogue entre nous, au-delà de celle-ci et au cours des prochaines. C’est ce que je nous souhaite. Quoi qu’il arrive.

Sylvain Bélanger, 
Codirecteur général et directeur artistique